mercredi 18 mai 2011

" Parler, c'est exprimer ses pensées par des signes que les hommes ont inventé à ce dessein. " Arnault & Nicole

Ce jour-là, mon récent échec sentimental avec ce musicien hongrois et mon désarroi face à l'absurdité de mon existence m'avaient fait prendre un peu trop de médicaments divers, et à la place de mon TD sur l'irresponsabilité pénale j'ai décidé d'aller m'aérer l'esprit dans les rues de la Capitale. Je longeai la rue Réaumur, puis le boulevard Sébastopol, puis arrivai enfin sur le quai de Gesvres. J'ignore quelle heure il était, mais le soleil printanier était sur le point de se coucher, adoucissant les rebords des immeubles haussmaniens avec le crépuscule. Là, mon mélange chimique a commencé à faire plus que son effet, et je me suis assise sur le rebord du pont au Change, celui duquel j'avais pris l'habitude de brandir mon majeur aux touristes sur les bateaux-mouches. Mes mains demeuraient immobiles et ma vie défilait devant mes yeux. Je me suis rappelée de la belle époque quand à chaque fois que j'étais malade ma maman prenait soin de moi et mon chien était encore en vie.

Je ne sais pas combien de temps s'est écoulé, mais au moment où je me remémorais la fois où je me suis perdue sous la pluie à Vitry-sur-Seine au lieu d'aller à Maisons-Alfort, j'ai été sortie de mes méditations nostalgiques avec une certaine violence par une femme de taille et d'âge moyens. Elle me tenait par la manche et m'expliquait quelque chose avec entrain. Ce qu'elle ne savait pas, c'est que je souffrais d'une otite aux deux oreilles et que ces dernières mariaient très bien la surdité et la douleur, en conséquent de quoi je ne pus comprendre que le huitième de ses affirmations. Il me sembla l'entendre m'accuser d'avoir essayé de voler son steak tartare – chose que je trouvai assez étrange, étant donné que je ne mange pas de viande – et d'avoir eu un comportement immoral envers l'employé de la piscine municipale de Saint-Quentin-en-Yvelines – chose que je trouvai d'autant plus étrange, étant donné que je n'ai jamais mis les pieds dans cette ville.

Son monologue ne m'atteignant dans aucun des sens du terme, je m'efforçai de sourire poliment et de détourner son attention avec un numéro de claquettes. ( les claquettes de danse, pas les savates). Pendant qu'elle fixait la performance et la synchronisation de mes extrémités, j'envoyai un message télépathique à son conseiller fiscal qui à son tour s'empressa de lui téléphoner. Préoccupée par sa vie personnelle, la femme moyenne décrocha : c'était l'occasion rêvée d'échapper à son joug. Chose que je ne tardai pas de faire en mettant en oeuvre mes techniques très spéciales de ninja apprises sur YouTube. Je m'enfuis donc en courant vers l'Ile de la Cité. Là j'ai croisé une voiture des forces de l'ordre qui m'arrêta et après avoir écouté mon histoire me déposa chez moi.

Et après j'ai regardé Esprits criminels.  

Le pont au Change.